Les femmes dans le numérique : une situation révélatrice de l’histoire des femmes au travail



Comment s’explique le déficit de présence des femmes dans le numérique ? Plus globalement, sur quels ressorts s’est appuyé le développement du travail des femmes dans l’histoire du travail en France ? Deux sujets passionnants abordés dans l’émission "Entendez-vous l’éco" de France culture début mars, dans sa série consacrée aux "femmes dans l’économie". Tendons l’oreille.

   

L’histoire du travail féminin (émission du 5 mars), éclaire la situation actuelle des femmes dans le numérique (émission du 4 mars).

 
Un siècle de femmes au travail

Que ce soit sous la forme historique du travail domestique, pour suppléer leurs maris, en tant que salariées ou indépendantes, les femmes ont toujours travaillé. Pourtant, ce travail a longtemps souffert d’une absence ou d’un manque de reconnaissance.

 

Tout d’abord parce que le travail domestique a historiquement été considéré comme l’apanage des femmes : une activité relevant de leur savoir-faire "naturel". Cette conception étant opposée au travail qualifié (c'est-à-dire nécessitant une qualification) occupé par les hommes.
De fait, alors que les femmes sont entrées peu à peu dans la sphère des actifs reconnus comme tels, la valeur sociale du travail a été marquée par cette distinction entre travail masculin et travail féminin, reléguant traditionnellement les femmes aux tâches les moins qualifiées, les moins rémunérées…

D’autre part, parce que la visibilité de ce travail féminin au sein de la société n’a été que tardive : on peine à le définir, à reconnaître son caractère qualifié, et même à le recenser. En 1901, les femmes représentent 1/3 de la population active, comme en 1960.

 

Néanmoins, l’accroissement du besoin de main-d’œuvre avec la 1ère guerre mondiale contribue à l’intégration des femmes dans la sphère du travail reconnu, de même qu’à leur montée en qualification. Pendant l’entre-deux guerres, l’enseignement secondaire et supérieur se démocratise, les métiers dits "féminins" se professionnalisent (création de diplômes), même si les femmes y restent cantonnées.

De même, au milieu des années 50, les femmes profitent du développement du salariat et de la montée en puissance du tertiaire, alors que le secondaire est dominé par les hommes. Elles y occupent des métiers aux qualités dites "féminines" (savoir-faire, agilité) , dont la qualification est, de fait, peu reconnue.

 

Depuis les années 70, les filles ont égalé puis dépassé les garçons en matière de résultats au Bac, elles sont désormais plus nombreuses parmi les diplômés du supérieur.

Les années 80, marquées par la crise économique, voient l’écart se creuser au sein même de la population féminine active, entre les quelques-unes qui ont bénéficié de l’augmentation du niveau global de qualification et qui occupent un emploi qualifié, et la plus grande partie qui subit la déqualification, les inégalités et le sous-emploi (temps partiel subi).  

Si aujourd’hui, 48 % des actifs sont des femmes et si ces dernières ont désormais, pour la plupart, des carrières continues, la législation sur le temps partiel, sur l’égalité salariale ou sur la retraite, ne parvient toujours pas à assurer l’égalité hommes-femmes au travail.

 

 

 

Femmes et numérique : un bug dans la matrice

Dans le numérique aujourd’hui, seulement 10 % des entreprises sont dirigées par des femmes. Par ailleurs, lorsqu’elles sont présentes, les femmes occupent souvent des fonctions connexes dans les entreprises du numérique.

 

Ces données reflètent la position très minoritaire des femmes dans le secteur du numérique.
Pour autant, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, historiquement, le travail informatique étant peu valorisé, les postes de calculateur.rice.s ou de programmateur.rice.s étaient souvent occupés par des femmes (on compte parmi les pionnières Ada Lovelace ou Grace Hopper). Mais la montée en prestige du métier s’est accompagnée de la réappropriation de ce domaine par les hommes (arrivée massive qui a "dilué" la présence des femmes) et du développement d’une culture "geek" (dominée par le genre masculin) au début des années 90.

 

De fait, l’hyper-présence masculine dans ce secteur fait craindre le développement d’une conception sexuée des programmes qui soutiennent l’activité humaine. D’où l’urgente nécessité d’attirer les femmes, pour modifier la culture tendanciellement masculine du numérique.

Pourtant les femmes, dans ce secteur, comme dans les autres secteurs où les hommes sont globalement majoritaires (les sciences, par exemples), ont davantage de mal à s’insérer. Elles intègrent moins facilement des postes à responsabilité, souffrent des effets de stéréotypes qui rendent légitimes des discriminations… Et ce, malgré des résultats scolaires plus satisfaisants que ceux des hommes.

 

Cette situation des femmes dans le numérique est symptomatique de la conception des genres dans la société. Les normes de masculinité et de féminité y sont si fortement et si subtilement ancrés (au sein des fonctionnements familiaux, de l’école, de tous les fonctionnements sociétaux), que leurs effets sont inconsciemment intégrés. Ces normes engendrent des effets construits sur la confiance en soi, le sentiment de compétence et l’intérêt que l’enfant, garçon ou fille, peut porter vers telle ou telle activité, selon qu’elle est marquée comme étant plus féminine ou plus masculine.

 

De même, si l’orientation est considérée comme un choix de liberté, celui-ci est souvent poussé par les effets insidieux des stéréotypes de genres, qui vont jusqu’à justifier le choix d’une filière sexuée par l’expression normale des différences supposées entre hommes et femmes. 

Ainsi, la moindre confiance des filles en elles-mêmes, renforcée par le manque de modèles, le sexisme des filières dites "masculines" et l’insertion professionnelle plus difficile ne les incitent pas à faire le choix de ces filières.

 

Les différentes politiques scolaires visant à favoriser la mixité dans les filières n’ont pas contribué à renverser la tendance.

Dans le secteur numérique, les initiatives variées (associations, écoles) récentes qui fleurissent pour favoriser la mixité commencent, elles, à porter leurs fruits (augmentation de la proportion de femmes dans les écoles du numérique).

 

 

 

Cariforef des Pays de la Loire, mai 2019

Sur ce sujet
  • Accéder au site de Femmes du digital Ouest qui promeut la présence des femmes dans le numérique
  • En savoir plus sur l'initiative d'Audencia intitulé "Négotraining" pour former les femmes à la négociation salariale
Documents disponibles au centre de ressources

(liste non exhaustive)